中文  
Interview accordée par l’Ambassadeur LU Shaye à LCI
2022-07-18 21:30

Le 16 juillet 2022, l’Ambassadeur de Chine en France LU Shaye a accordé une interview à LCI sur le conflit russo-ukrainien, les relations sino-américaines, les relations Chine-Occident, les questions liées à Hong Kong, au Xinjiang, à Taiwan et de la COVID-19, dont le contenu est le suivant :

Q : Monsieur l’Ambassadeur LU Shaye, bonsoir. Votre regard sur la situation présente sur la guerre en Ukraine, les ambitions de la Chine, son lien avec la France, l’Union européenne et la Russie bien sûr. Vous représentez 1 milliard 300 millions de personnes. Un premier sentiment d’abord sur cette guerre qui a bouleversé toute la donne pour les personnes et pour les puissances. Pour vous, une première impression, qu’est-ce que ça a changé pour la Chine ?

R : Effectivement la Chine est impactée aussi par cette guerre. Par exemple, l’économie chinoise a connu récemment un petit essoufflement. Hier les chiffres sont sortis : au deuxième trimestre la croissance de l’économie n’était que de 0,4 %.

Q : Pour vous c’est un traumatisme énorme parce que vous tutoyez des chiffres...C’est monté jusqu’à quand ces dernières années la croissance ?

R : On a fixé au début de l’année l’objectif de la croissance à 5,5 %. Heureusement pour le premier semestre c’était de 2,5 %. Je pense qu’avec des efforts on peut encore atteindre cet objectif-là.

Q : Le ton est monté. On l’a entendu dans la bouche de Joe Biden qui s’adresse à la Chine en disant qu’on ne vous laissera pas la place et l’influence notamment au Proche-Orient. Et dans la bouche de l’OTAN, vous êtes le pays le plus peuplé de la Terre, l’OTAN est la plus grosse alliance militaire de tous les temps. Il y a un milliard de personnes sous le parapluie de l’OTAN. Lisons ce que dit l’OTAN à votre égard et vous pourrez commenter : « La République populaire de Chine affiche des ambitions et même des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs. La Chine s’emploie à saper l’ordre international fondé sur des règles, notamment pour ce qui concerne les domaines du spatial, du cyber et du maritime ». Et puis cette phrase qui a été beaucoup commentée : « La Chine représente un défi systémique pour la sécurité euro-atlantique ». C’est très fort ça. L’OTAN dit que vous êtes son ennemi et notre ennemi. Est-ce que vous êtes notre ennemi ?

R : L’OTAN se trouve à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de la Chine et se prétend une organisation militaire de défense dont les limites se trouvent dans l’Océan Atlantique du Nord. Comment la Chine peut défier l’OTAN ? La Chine n’a jamais déclenché une guerre à l’étranger. Autour de la Chine, l’OTAN et les Américains ont installé une dizaine de bases militaires. Alors ce n’est pas la Chine qui défie ou menace l’OTAN. C’est l’OTAN qui menace la Chine.

Q : Comment est-ce que vous expliquez si effectivement vous n’êtes pas ennemi de l’OTAN, pourquoi est-ce qu’elle dit cela ?

R : Je ne sais pas pourquoi elle a ce sentiment. La Chine est un pays de paix. Nous sommes constructeurs de la paix, contributeurs au développement du monde et défenseurs de l’ordre mondial. En ce qui concerne l’ordre mondial, pour la Chine c’est l’ordre qui est centré sur le système de l’ONU. Mais je pense que c’est peut-être différent aux yeux de l’OTAN.

Q : Est-ce qu’il y a selon vous une volonté impériale de l’OTAN et des Etats Unis dans ces paroles ?

R : Je pense que l’OTAN est un instrument des Etats-Unis pour préserver leur hégémonie. Dans ce cas-là, ce n’est pas un bon phénomène pour la Chine et les autres pays du monde.

Q : Vous avez mentionné ce mot d’hégémonie américaine. Pour vous c’est le cas aujourd’hui ?

R : Je pense que c’est le cas depuis toujours.

Q : Et ça va changer d’après vous ?

R : Je pense que c’est le souhait de tous les pays du monde. Il faut construire un monde multipolaire. Un monde unipolaire n’est jamais équilibré.

Q : Est-ce que pour vous c’est l’occasion cette année 2022 où tout bouge - la guerre amène le pire et parfois des changements pour des puissances dont elles veulent profiter - est-ce que c’est l’occasion de changer cela ?

R : Je pense que c’est peut-être une occasion pour que tous les pays du monde travaillent ensemble à construire un monde meilleur et multipolaire où tous les pays du monde, grands ou petits, pauvres ou riches, puissants ou faibles, peuvent se trouver ensemble pour discuter des affaires internationales.

Q : Vous dites hégémonie des Américains. Mais pour beaucoup d’Européens, les Américains ont souvent été sauveurs face aux dictatures. Il y a ce mot de Jefferson qui dit c’est l’« empire de la liberté ». Oui, c’est impérial, mais ça amène la liberté.

R : C’est auparavant. Après la deuxième guerre mondiale les États-Unis étaient le sauveur de l’Europe. Mais 70 ans sont passés. Ça change. Les États-Unis ont changé.

Q : Ils n’ont plus le droit d’être le gendarme du monde, selon vous ?

R : Est-ce qu’on a besoin de « gendarme du monde » ? Cela dépend. Parce que tous les pays du monde sont souverains et ont leur capacité de gérer les affaires mondiales.

Q : Revenons plus précisément à l’Ukraine et à la Russie. Vous conservez un lien très fort avec la Russie. Vous l’avez réaffirmé lors de cette grande réunion des BRICS. On a vu le Président XI Jinping, Vladimir Poutine, le Président brésilien etc. qui se parlent. De fait vous êtes de ceux qui achètent toujours le gaz russe - mais pas les seuls - d’ailleurs les Allemands continuent à acheter massivement du gaz. Est-ce que c’est pour vous une manière de soutenir la Russie ?

R : Je pense que ce sont des relations commerciales normales entre deux pays souverains. Avant la crise ukrainienne, la Chine a acheté déjà beaucoup de gaz à la Russie. Peut-être dans l’avenir on peut acheter encore plus.

Q : Beaucoup vous diront - vous n’êtes pas les seuls encore une fois - mais de fait vous financez l’effort de guerre de la Russie. Les bombardements qu’on voit en Ukraine actuellement y sont payés entre autres par vous et votre argent.

R : Alors dans ce cas-là, les pays européens financent aussi la Russie à bombarder l’Ukraine. Vous avez acheté aussi le gaz de la Russie.

Q : Mais la tendance en Europe est d’essayer de sortir de cette dépendance alors que vous allez encore augmenter...

R : On va voir.

Q : Vous n’y croyez pas ?

R : On va voir si elle pourra se départir du gaz de la Russie.

Q : Vous croyez que l’Europe tient un double langage dans cette affaire ?

R : Oui, bien sûr.

Q : En quel sens ? Avec quelle arrière-pensée ?

R : Parce qu’il y a un décalage entre ses intérêts et ses activités.

Q : Le Président XI a eu des mots très durs sur les sanctions. J’aimerais qu’on les lise et qu’on comprenne bien pourquoi vous êtes à ce point opposés aux sanctions. Il dit que « Il a été prouvé à maintes reprises que les sanctions sont un boomerang et une arme à double tranchant ». Il s’oppose même au principe des sanctions. Pourquoi ?

R : La Chine n’est jamais d’accord avec les sanctions unilatérales imposées souvent par les pays occidentaux. Le Président XI Jinping a dit que les sanctions sont un boomerang et une arme à double tranchant. C’est correct. Maintenant on a déjà vu la répercussion de ces sanctions sur l’Europe.

Q : Vous croyez que ces sanctions n’auront pas d’effets sur la Russie et la guerre ?

R : Bien sûr, il y a des effets sur la Russie. Elle a subi des pertes aussi sous ces sanctions-là. Mais de l’autre côté, les pays européens et même les Etats-Unis ont subi aussi des pertes.

Q : Ça veut dire quoi ? Est-ce qu’il faudrait laisser faire ? Vous parlez de souveraineté, mais l’Ukraine est aussi un État souverain. Elle a été agressée par la Russie qui est entrée sur son territoire. Est-ce qu’il n’est pas de bonne politique que les États secourent l’Ukraine ?

R : La Chine préconise toujours de régler les différends interétatiques par voie diplomatique et pacifique. Nous faisons toujours les jugements selon la réalité des faits. La crise ukrainienne tire ses origines dans les tensions sécuritaires régionales accumulées en Europe au fil des années. Donc il ne faut pas considérer cette crise à partir du 24 février 2022. Ça doit être considéré encore plus avant.

Q : Ça veut dire que, selon vous, la responsabilité n’est pas cent pour cent russe ?

R : C’est ça.

Q : Quel pourcentage ?

R : Ce n’est pas une question mathématique. Je pense que la cause profonde de cette crise découle de l’élargissement de l’OTAN en cinq cycles.

Q : Vous voulez dire que l’OTAN s’est rapprochée de la Russie, c’est ça qui a causé l’engrenage ?

R : Cela pose une question sécuritaire à la Russie. Tous les pays peuvent avoir le même sentiment.

Q : Est-ce que ce n’est pas le vieil argument de la compétition des puissances ? On se bat par le commerce, et Dieu sait si vous le faites bien par l’influence. On ne se bat pas en bombardant des villes, en tuant des innocents, en bombardant des civils, comme c’est le cas à Marioupol.

R : On dit que la guerre est sale. Si l’armée russe bombarde les villes ukrainiennes, l’armée ukrainienne a bombardé aussi les villes rebelles ou bien occupées par l’armée russe, et a entraîné aussi des morts de civils.

Q : Évidemment ce n’est pas dans une même proportion. Mais l’ambition de la Chine aujourd’hui jusqu’où peut-elle aller ? J’aimerais prendre un exemple : les ports de commerce. Dans ma génération, on a vu encore à l’époque les ports de commerce étaient souvent européens et américains. Quand j’étais adolescent, on allait à Rotterdam voir la puissance d’un port européen. Aujourd’hui ce sont les ports chinois qui sont les cinq premiers. Vous êtes partout devant. C’est évidemment extrêmement spectaculaire. Est-ce que ça a dit beaucoup de cela ?

R : Cela signifie que la Chine est montée vraiment en puissance en économie. La puissance économique de la Chine peut être utilisée pour contribuer au développement économique du monde.

Q : On voit là Shanghai, Ningbo, Shenzhen et Guangzhou. Est-ce qu’il y a une forme de jubilation de cela de se dire on est les premiers ?

R : Je connais que parmi les top dix peut-être il y a sept ou huit ports chinois. Ils peuvent contribuer à la croissance économique et au commerce mondial.

Q : Est-ce qu’il y a quelque chose pour vous les Chinois - comme c’est notre heur dans la génération de nos arrière-grands-parents et de nos aïeux – de ces caricatures ? On les voit dans les livres d’histoire où les Occidentaux se découpaient en morceaux la Chine. On voit la reine d’Angleterre, la France et les autres puissances qui se découpaient la Chine. Est-ce que selon vous la roue de l’Histoire a tourné ?

R : C’est notre passé douloureux et malheureux. Maintenant le peuple chinois ne permettra pas que cette histoire réapparaîtra. C’est pourquoi nous déployons des efforts pour développer notre pays, notre économie et notre capacité de défense. Mais la Chine reste toujours une force de paix pour défendre la paix du monde.

Q : Vous avez mentionné le mot « douloureux » quand on voit cette caricature et rappelle ce passé-là. Est-ce que vous pensez qu’en Occident on sous-estime ce passé colonial des Occidentaux ?

R : Je pense que les Occidentaux ne doivent plus avoir cette intention de découper ou envahir la Chine.

Q : Vous pensez que l’arrière-pensée existe encore chez certains en Occident ?

R : Ce n’est peut-être pas une arrière pensée. Mais même si cette caricature date d’il y a une centaine d’années, ce n’est une bonne chose ni pour nous ni pour vous.

Q : Jusqu’où est-ce que vous irez ? Vous avez racheté par exemple Le Pirée, le port d’Athènes. Pour les Européens c’est le cœur originel de la démocratie libérale européenne et de la civilisation européenne. Vous savez que la force de ce symbole est immense.

R : Mais c’est pour aider ce port à se développer.

Q : Monsieur l’Ambassadeur, vous savez très bien : quand on achète, c’est pour aider, mais c’est aussi pour prendre évidemment.

R : Ce n’est pas acheter, c’est peut être une concession pour faire l’opération après. Le rang du port du Pirée a monté beaucoup.

Q : Vous avez été en poste beaucoup en Afrique - la qualité de votre français en témoigne - dans beaucoup de pays francophones. Vous êtes en train de vous installer un peu partout en Afrique là où c’était la France qui avait un rôle éminent et que la Chine prend des pas.

R : Je pense qu’en Afrique la Chine et la France peuvent faire la coopération. Ce n’est pas une alternative.

Q : Les sinologues - est-ce qu’ils nous avaient trompés des générations - sur ces plateaux disaient que les Chinois ne veulent pas s’étendre et faire de prosélytisme et qu’ils veulent rester chez eux. On voit à quel point ils se sont trompés.

R : Maintenant il y a ce sentiment de « s’étendre ». Ce n’est pas l’expansion économique. Je pense que la Chine a la liberté d’aller n’importe où dans le monde pour faire la coopération avec les différents pays.

Q : Vous savez bien que c’est de la fausse modestie. On vit des heures inouïes. Si la Chine devient la première économie du monde, dans les statuts du FMI le siège du FMI serait déplacé à Pékin.

R : Cela dépend des membres du FMI.

Q : Ce sont dans les statuts du FMI...

R : Alors si c’est ça, tant mieux.

Q : Ce serait un choc inouï pour nous Occidentaux. Pour les Américains c’est impensable et jamais ils n’accepteront ça.

R : Pas la peine de vous en faire et d’avoir la peur. Je vous ai dit tout à l’heure que la Chine reste toujours un contributeur au développement économique mondial.

Q : C’est ce que vous nous dites « Ne vous en faites pas ». Vous savez que beaucoup de voix ici en Occident s’en font beaucoup. Ce sont les propos de Joe Biden aujourd’hui dans sa visite en Arabie saoudite en disant qu’« il ne laissera pas de place aux Chinois », et le 23 mai 2022 que « la Chine flirte avec le danger ». Il avertit que si vous envahissait Taiwan, les États-Unis interviendront militairement.

R : La Chine a déjà réaffirmé à maintes reprises notre position sur le problème de Taiwan. Taiwan fait partie intégrante du territoire chinois. Notre mission de cette génération, c’est de réunir la patrie. Nous voulons résoudre le problème de Taiwan par voie pacifique, pourvu que les autorités taiwanaises ne franchissent pas la ligne rouge et que les Américains ne soutiennent pas les activités séparatistes des autorités taiwanaises en leur fournissant des armes ou en envoyant des officiels et députés à visiter Taiwan.

Q : Est-ce qu’il y a selon vous une volonté américaine de déstabiliser la Chine à Taiwan ?

R : Il existe une duplicité dans la parole des Américains. Le Président Biden a fait des engagements vis-à-vis du Président XI Jinping, à savoir les Etats-Unis n’ont pas l’intention d’entrer en guerre froide avec la Chine, de renverser le système politique chinoise, de soutenir l’indépendance de Taiwan et d’entrer en conflit avec la Chine. Mais dans leur comportement c’est le contraire.

Q : D’après vous ils manœuvrent là ?

R : Ils soutiennent les velléités d’indépendance des autorités taiwanaises, envoient leurs officiels de haut niveau et leurs députés à visiter Taiwan, et envoient leurs navires de combat à naviguer dans les eaux de la Chine. Ce sont les provocations.

Q : Comment vous croire, Monsieur l’Ambassadeur, comment coire à la Chine quand on voit qu’à Hong Kong, lors de la rétrocession vous aviez dit que vous respectiez complètement la vie démocratique, et ça n’a pas été le cas. L’Union européenne se plaint à plusieurs reprises des dizaines d’arrestations d’opposants démocrates à Hong Kong. Là c’est vraiment la mainmise impériale de la Chine.

R : Lors du retour de Hong Kong à la patrie, le gouvernement chinois applique le principe d’« un pays, deux systèmes ». Jusqu’à aujourd’hui on applique toujours ce principe.

Q : Ce n’est pas deux systèmes. Parce que quand vous arrêtez des dizaines d’opposants, ce n’est pas dans un système démocratique...

R : Ce n’est pas parce qu’ils sont « prodémocratiques » que les autorités de l’administration spéciale de Hong Kong les ont arrêtés. C’est parce qu’ils ont enfreint les lois.

Q : Ça s’appelle un délit d’opinion.

R : Beaucoup de ces lois ont été même élaborées dans l’époque de la gouvernance coloniale des Anglais. Ils ont enfreint les lois.

Q : Aujourd’hui la poursuite de cette politique de répression notamment sur les minorités - nos confrères et consœurs du Monde ont publié un dossier sur les Ouïghours qui est extrêmement saisissant - quand on voit qu’aujourd’hui il y a plus même que sous le stalinisme en Russie en proportion de gens dans les camps d’internement de minorités en Chine, dans certaines parties de la Chine, c’est la continuation.

R : Ce sont des mensonges qu’on a démasqués à maintes reprises. Attention, on n’a jamais appliqué la politique de répression. On parle ici du soi-disant génocide. Alors s’il y a un génocide, depuis 40 ans la population des Ouïghours a augmenté de 5,5 millions à 12 millions, est-ce qu’il y a un génocide de ce genre ?

Q : Quand on parle du génocide, ce sont des faits. C’est le parlement européen qui donne le prix Sakharov à Ilham Tohti. Pacifique, ce n’est pas un islamiste extrême qui est en prison aussi pour délit d’opinion pur. Est-ce que ce n’est pas toujours ce même régime chinois qui a des réussites économiques très importantes mais qui reste une dictature de fer ?

R : Il n’y a pas de dictature. S’il y avait des répressions, des dictatures ou des génocides au Xinjiang, pourquoi tous les pays musulmans du monde ne condamnent ou critiquent pas la Chine ?

Q : Il y a peu de démocratie dans les pays musulmans du monde.

R : Vous accusez tous les pays musulmans ? Un autre exemple : avant l’épidémie de 2019, chaque année il y a quelque 200 millions de touristes qui visitent le Xinjiang, y compris 2 millions de touristes étrangers. Alors pourquoi personne ne raconte ces allégations dans les réseaux sociaux ?

Q : Vous défendez le point de vue de votre pays et c’est normal. Quoi qu’il en soit, ces différences affichées - on les a vues dans la crise du COVID et dans ces images où Pékin, contrairement aux Européens, assume une méthode extrêmement autoritariste - est-ce que vous assumez cela ? Est-ce que vous assumez de dire « Nous ne sommes pas une démocratie libérale. Nous sommes un autre modèle »?

R : Nous sommes une démocratie populaire dans tout processus. L’objectif du gouvernement chinois, c’est de protéger la vie et la santé de notre peuple et d’améliorer la vie du peuple. Tout le monde voit le résultat.

Q : Vous vivez à Paris. Vous voyez une démocratie libérale avec ses qualités et ses défauts. Vous êtes Chinois et parfait francophone. Vous pouvez comparer. Qu’est-ce qui marche le mieux ?

R : Navet ou chou, chacun ses goûts. La Chine a son propre système politique et sa voie de développement. Vous avez les vôtres.

Q : C’est à dire chacun ses choix.

R : Oui. Je pense que ce doit être un principe que tous les pays du monde appliquent dans le traitement des relations internationales. Il ne faut pas s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays.

Q : Ça veut dire quoi ? La fameuse spécificité française depuis la révolution française - il y a cette idée en France qu’on doit aider des persécutés dans le monde quand on parlait des Ouïgours, des dissidents à Taïwan ou à Hong Kong - pour beaucoup de Français nous devons aider ces gens-là. Qu’est-ce que vous nous répondez ?

R : D’abord il faut respecter les faits. Est-ce que ce sont des faits ? Non, ce sont des mensonges. Si vous fondez votre politique sur des mensonges, vous serez désorientés.

Q : Monsieur LU, vérité ou propagande de votre Etat contre l’avis des démocraties libérales, il y a cette phrase attribuée à Bonaparte qui dit « Lorsque la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Est-ce que c’est l’heure d’après vous ?

R : Je dois dire que ce que j’ai dit n’est pas la propagande mais la réalité. En ce qui concerne la phrase qu’a dit Napoléon Bonaparte, il a dit un fait, c’est que la Chine est un géant et un grand pays qui a une civilisation cinq fois millénaire. Pendant des milliers d’années, la Chine a été la première puissance dans le monde, seulement depuis les temps modernes elle a pris du retard. Mais maintenant la Chine se réveille, comme l’a dit Napoléon, mais elle se réveille sans constituer une menace pour le monde mais une opportunité de développement pour le monde.

Q : Comment être rassuré - dans l’histoire du monde, tout empire a visé à s’étendre, soit l’Empire romain, l’empire américain, les puissances coloniales européennes, et vous l’avez rappelé quand elles voulaient découper la Chine - pourquoi la Chine ferait-elle une exception ?

R : Depuis la fondation de la République populaire de Chine, elle n’a jamais déclenché aucune guerre à l’étranger. Mais pour les États-Unis, pendant leurs 240 années d’histoire, il y a seulement 16 années où ils n’ont pas déclenché la guerre.

Q : On reçoit depuis le début de cette crise ukrainienne beaucoup de messages sévères notamment d’Africains à l’égard des Occidentaux, contre le sentiment dominant chez nous que le droit est du côté des Occidentaux parce que la démocratie est de notre côté. Comment est-ce que vous traduisez ce ressentiment contre les Occidentaux, vous qui avez été longtemps en poste en Afrique ? Pourquoi encore aujourd’hui tellement d’Africains notamment, mais aussi de Chinois, considèrent qu’il est encore maintenant une culpabilité occidentale si c’est le cas ?

R : Je pense que ce doit être aux pays africains de le dire. Au début, j’ai dit que la Chine fait la coopération en Afrique avec les pays africains, mais aussi on peut faire cette coopération avec la France ensemble en Afrique.

Q : Un voyage d’Emmanuel Macron en Chine ou un voyage du Président XI à Paris, c’est une probabilité prochaine ?

R : C’est ce que je souhaite, mais on va voir. Ça dépend de l’évolution de la situation épidémique.

Q : C’est ça l’obstacle ?

R : Je pense que oui. Parce que maintenant la Chine applique une politique zéro COVID dynamique, alors les amis étrangers n’aiment pas la quarantaine en arrivant en Chine.

Q : Vous nous rejoignez sur ce plateau Christine Ockrent, grande spécialiste des relations internationales davantage des Etats-Unis que de la Chine. On va parler de ce que dit Joe Biden à l’égard de la Chine et de la guerre d’Ukraine. D’abord un petit mot d’échange. Christine Ockrent, vous avez une grande expérience.

Christine Ockrent : Bonjour Monsieur l’Ambassadeur.

R : Bonjour Madame.

Q : A l’échelle de votre carrière, je sais que vous avez vu la Chine prendre une place tellement inouïe par rapport à ce qu’elle était il y a quelques décennies.

C : Je crois que l’Ambassadeur a parfaitement décrit avec cette maîtrise admirable de la langue française mais aussi une certaine casuistique. Il a parfaitement décrit l’ascension de la Chine et de ses ambitions, et c’est bien évidemment une méthode d’analyse qui reste très éloignée de la nôtre.

Q : Est-ce qu’il faut avoir peur de la Chine ? Il y a beaucoup d’Européens qui ont peur de la Chine et estiment qu’on va se faire manger par les Chinois, parce que c’est la puissance montante avec 1,3 milliard d’habitants alors que l’Europe c’est 500 millions et encore moins sans le Royaume-Uni. Et puis le différentiel va continuer.

C : Enfin il y a toujours des gens qui ont peur de tout. Mais ce qui est certain, c’est que l’accélération des crises internationales et la façon dont le Président XI Jinping organise son propre pouvoir au sein même de la Chine - il sera évidemment passionnant de voir ce qui va se passer à l’automne prochain lors de votre prochain Congrès - il est évident que la Chine avec cette notion du temps long qui nous est trop souvent étrangère. Moi j’ai une question : concernant les accords passés avec l’Iran, ce sont des accords très intéressants, me semble-t-il, parce qu’ils portent précisément sur le temps long. Je crois que ce sont des accords sur 30 ans.

R : Cet accord a été signé l’année dernière.

C : Et selon vous, Monsieur l’Ambassadeur, quel est le sens et l’objectif vus de Pékin ?

R : Les Chinois a coutume de voir les choses à long terme. On programme toujours les choses en cinq ans ou dix ans. Avec l’Iran, si on parle de la coopération, on la programme à de longue haleine.

Q : Monsieur l’Ambassadeur, merci beaucoup d’avoir été l’invité de ICI. Merci pour vos interventions sur la guerre en Ukraine et sur ce nouveau rapport des puissances.


Suggest To A Friend
  Print