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Interview accordée par l’Ambassadeur LU Shaye à BFM TV sur la visite de Nancy Pelosi à Taiwan
2022-08-04 16:52

Le 3 août 2022, l’Ambassadeur de Chine en France LU Shaye a accordé une interview à BFMTV sur la visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à la région de Taiwan de la Chine. Voici l’intégralité de l’interview :

Q : Le monde entier a regardé la visite à Taiwan de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants américaine et la démocrate, ce qui a provoqué l’ire de la Chine. Nous allons y revenir avec Son Excellence l’Ambassadeur de Chine en France. Monsieur LU Shaye bonsoir.

R : Bonsoir.

Q : Interview que nous allons faire avec vous et Sylvie Bermann qui était Ambassadrice de France en Chine entre 2011 et 2014. C’est vrai que Taiwan est un dossier ô combien épineux. Madame Pelosi est repartie et rentrée aux États-Unis. Elle a dit qu’elle était venue en paix. Vous êtes d’accord avec ce qu’elle dit ?

R : On dit qu’elle a atterri sans encombre. Même si c’est une visite en paix, elle a créé beaucoup de danger et de crise parce que c’est vraiment une provocation inutile.

Q : Pourquoi parlez-vous de provocation ? Aller rencontrer une présidente et discuter de la démocratie ne tiennent pas la provocation.

R: Bien sûr. La Chine et les États-Unis sont des pays ayant des relations diplomatiques. Les Américains se sont engagés à respecter le principe d’une seule Chine. Dans le communiqué conjoint sino-américain de 1979 de l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays, les Américains se sont engagés que les États-Unis d’Amérique reconnaissent le gouvernement de la République populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal de la Chine. Et dans ce contexte, le peuple des États-Unis maintiendra les relations culturelles, commerciales et d’autres relations non officielles avec la population de Taiwan. Madame Pelosi est la deuxième position dans l’ordre de succession au Président américain, sa visite n’est évidemment pas une visite non officielle. C’est un contact officiel.

Q : Mais Taiwan est une région autonome. Sa présidente a aussi de la latitude dans ce qu’elle veut faire ou dans les personnalités qu’elle veut rencontrer ou pas.

R : Taiwan fait partie intégrante du territoire de la Chine.

Q : C’est une autonomie depuis 1949.

R : Au niveau de la souveraineté, Taiwan fait partie de la Chine. 181 pays dans le monde reconnaissent que Taiwan fait partie de la Chine, y compris les États-Unis et la France. Taiwan n’est pas un État souverain. Vous dites que c’est une région autonome, mais c’est une région autonome de la Chine. Tous les pays ayant des relations diplomatiques avec la Chine doivent respecter le principe d’une seule Chine et ne doivent pas avoir des contacts officiels avec Taiwan.

Q : Vous avez haussé le ton tout de suite en disant qu’on va lancer des manœuvres militaires. Ça veut dire quoi ? Vous faites monter aussi la tension d’un cran ?

R : C’est pas nous qui avons monté la tension. Ce sont les Américains qui ont escaladé la tension parce que s’il n’y a pas de visite de Madame Pelosi, la situation reste calme. C’est sa visite à Taiwan qui a monté les tensions. Ce que nous faisons, c’est la réponse à cette visite et à cette provocation. Il ne faut pas escompter que vous faites de la provocation sans essuyer de sanctions.

Q : Que craignez-vous en fait ? Qu’est-ce qui pourrait arriver ?

R : Bien sûr. Cette visite est une représentation de l’infraction du principe d’une seule Chine qui piétine et viole la souveraineté et l’intégrité territoriale de Chine. Si on n’y répond pas, ils vont continuer. Et peu à peu, pas à pas, ils vont atteindre la soi-disant indépendance de Taiwan. C’est ça la volonté des autorités de Taiwan.

Q : La présidente de Taiwan dit « Nous ne reculerons pas face aux menaces militaires délibérément accrues et nous continuerons de défendre la démocratie ».

R : Elle a déjà exprimé explicitement sa tentative de la recherche de l’indépendance.

Q : Vous ne voulez pas...

R : Ce n’est pas « non vouloir ». Ce n’est pas permis.

Q : Vous avez un problème avec la volonté des peuples de s’émanciper et de disposer d’eux mêmes, de leur autorité.

R : La volonté tout d’abord c’est la volonté du peuple chinois de 1,4 milliard d’habitants. En parlant de la volonté de la population de Taiwan, il y a 20 ans la population de Taiwan était pour la réunification.

Q : Les choses changent. Et vous ne voulez pas qu’elles changent.

R : C’est à cause de la propagande du Parti démocrate progressiste qui est aujourd’hui au pouvoir. On peut imaginer qu’un jour la Chine aura réunifié Taiwan avec l’éducation, la population de Taiwan redeviendra patriote et pour la réunification.

Q : Et hors de question de faire une opération militaire sur Taiwan ? Vous n’allez pas faire des coups des Russes en Ukraine ? Je vous pose la question franchement, est-ce que pour vous ça peut être un scénario, une opération militaire sur Taiwan ?

R : Bien sûr. Ce n’est pas contre la population de Taiwan. C’est pour dissuader ou bien avertir les forces sécessionnistes visant l’indépendance de Taiwan et des forces anti-chinoises étrangères.

Q : Donc le scénario d’une intervention militaire de Pékin sur Taiwan reste toujours là avec le danger que ça peut représenter ?

R : Il est toujours là. S’il y a un danger, ce n’est pas nous qui l’avons créé, ce sont les Américains. Par exemple cette fois-ci la visite inutile de Madame Pelosi à Taiwan a risqué de provoquer une crise.

Q : On voit que c’est un dossier ô combien épineux, délicat et inflammable.

Sylvie Bermann : Oui, bien sûr. On sait que ça fait partie des intérêts vitaux de la Chine et qu’il y a une ligne constante que tous les pays qui ont établi des relations diplomatiques avec la Chine reconnaissent la politique d’une seule Chine. Et en même temps, nous sommes tous favorables au statu quo, c’est-à-dire pas d’intervention, pas d’indépendance, mais pas d’intervention non plus de la Chine.

Q : Est-ce que les Américains jouent avec le feu là ?

B : Il se trouve que c’est Nancy Pelosi qui a pris cette initiative de le faire. Joe Biden a essayé de l’empêcher avec l’armée et la CIA qui n’étaient pas favorables, parce que c’est une période qui n’est pas très positive pour ça. Les Américains essaient d’obtenir de la Chine qu’elle reste neutre dans la question ukrainienne et qu’elle ne se substitue pas aux Occidentaux pour alléger les sanctions. Donc ce n’est pas le moment de créer une crise. La presse américaine a d’ailleurs été assez négative sur l’utilité de cette visite à ce moment donné. C’est la première visite du troisième personnage de l’État américain même s’il y a une différence entre l’exécutif et le législatif. Et là elle entend avoir effectivement sa propre politique comme elle était allée également en Ukraine voir Zelensky, elle veut jouer un rôle sur sur la scène mondiale. Mais il n’y avait pas eu là unanimité aux États-Unis pour cela.

Q : Quel est le sort de Taiwan ? Depuis 1949 c’est une région qui est autonome mais qui est sous surveillance des Chinois et de Pékin.

B : Juridiquement nous reconnaissons cette position.

Q : Malgré les velléités des autorités taiwanaises ?

B : De la présidente actuelle. Parce que jusqu’en 2016, c’était un président du Kuomintang qui n’était pas favorable à l’indépendance. Aujourd’hui, effectivement il y a des sentiments indépendantistes beaucoup plus forts à Taiwan qu’ils ne l’étaient autrefois.

Q : Comment vous les expliquez justement ces sentiments indépendantistes ? Parce qu’elle a été élue. Il y a une partie de la population qui dit « Nous voulons peut-être nous éloigner de Pékin ». Et c’est peut-être le sens de l’Histoire. Vous êtes quand même bien éloignés de Mao en devenant un pays qui est quand même assez capitaliste et qui me semble illibéral.

R : C’est ce que j’ai dit tout à l’heure. Il y a dix ans voire 20 ans, la plupart de la population de Taiwan était pour la réunification. Mais pourquoi maintenant elle est contre ? C’est parce que le Parti démocrate progressiste a fait beaucoup de propagande antichinoise. Après la réunification, on va faire une rééducation. Je suis sûr qu’à ce temps-là la population de Taiwan deviendra favorable à la réunification et deviendra patriote.

Q : Sous la menace ?

R : Pas sous la menace mais avec la rééducation. Tout le monde sait qu’en France vous avez aussi l’éducation républicaine des valeurs républicaines. Pourquoi on fait ça ?

Q : Mais bien sûr on a l’éducation. Mais on n’a pas une éducation à la chinoise, une rééducation de masse populaire. C’est ce que vous dites, il faut les rééduquer pour qu’ils remettent à penser correctement. Parce que pour vous aujourd’hui ils ne pensent pas correctement.

R : Le problème est que le Parti démocrate progressiste a fait une propagande extrémiste et même opprimé le parti Kuomingtang, parce qu’à ce temps-là le Kuomingtang était pour la réunification. Les autorités de Taiwan appliquent une approche de « couper les saucissons », c’est-à-dire avancer à petits pas. Si on ne y réagit pas, à la fin elles vont atteindre leur objectif d’indépendance.

Q : On a vu que l’Ukraine a replongé le monde dans un moment de crise comme on n’en avait pas connu depuis longtemps. Là on a une poussée du côté de l’Asie, de Taiwan. On a deux points chauds aujourd’hui, Sylvie Bermann.

B : Oui, ce sont deux points chauds. Ce ne sont pas de même nature et la temporalité n’est pas la même non plus.

Q : Taiwan peut connaître un scénario à l’ukrainienne ?

B : Non, je ne sais pas. Pas dans l’immédiat, clairement. Mais je ne sais pas ce qui peut advenir dans le futur parce que personne ne croyait à l’intervention en Ukraine. Encore une fois, ces deux situations sont complètement différentes.

Q : Comment faire baisser la tension aujourd’hui ?

B : Faire baisser la tension, en tout cas, c’est le respect du statu quo, le respect de la navigation dans la mer de Chine méridionale, et peut-être d’éviter des gestes qui finalement font monter la tension.

R : Ce sont les Américains et les autorités de Taiwan qui ont changé le statu quo.

Q : Vous attendez quoi de Joe Biden aujourd’hui ?

R : Nous espérons qu’il tient ses engagements vis-à-vis du Président XI Jinping, à savoir « cinq non » : les États-Unis n’ont pas l’intention de déclencher une nouvelle guerre froide avec la Chine ou de changer le système de la Chine, la ravitalisation de leurs alliances ne vise pas la Chine, ils ne soutiennent pas l’indépendance de Taiwan et ne veulent pas entrer en conflit avec la Chine.

Q : Et la Chine ne veut pas entrer en conflit avec les États-Unis ?

R : Bien sûr. Nous espérons que les Américains traduisent leurs paroles en actes, mais en réalité on voit le contraire. Cette visite inutile de Madame Pelosi à Taiwan est complètement en contravention avec l’engagement du Président Biden.

Q : Merci Excellence LU Shaye, Ambassadeur de Chine en France, d’avoir été avec nous.


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