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Interview accordée par l’Ambassadeur LU Shaye à LCI
2023-02-08 00:59

Le 6 février 2023, l’Ambassadeur de Chine en France LU Shaye a accordé une interview à LCI sur l’affaire du ballon chinois, la question liée au Taiwan, la crise ukrainienne, les relations sino-américaines et les relations sino-russes, voici l’intégralité de l’interview :


Q : Bonsoir Monsieur l’Ambassadeur, merci beaucoup de nous répondre ce soir en direct dans Un œil sur le Monde sur LCI.


R : Bonsoir.


Q : C’est vrai que ce week-end a été marqué par cette fameuse affaire du ballon chinois. L’image a fait le tour du monde : ce ballon abattu par un avion américain, un ballon espion selon les Américains, un ballon météo strictement civil en revanche du côté de la Chine. Expliquez-nous, Monsieur l’Ambassadeur, pourquoi les Américains ne vous croient pas.


R : Peut-être il manque de confiance entre les deux pays maintenant. Ces quelques années, il s’est passé beaucoup de choses entre les deux pays qui ont diminué la confiance mutuelle. Sur cette affaire, le ballon est bien sûr un ballon météo au lieu d’être un ballon espion. Mais les Américains exagèrent l’affaire.


Q : Pourquoi ?


R : Il se passe souvent ce genre d’affaires, même pour les Américains. Les Américains envoient souvent des ballons espions ou bien à d’autres fins. Cette fois-ci, le gouvernement chinois, une fois informé par la partie américaine, a fait des enquêtes. On a trouvé que c’est un ballon civil utilisé à des fins de recherches météorologiques. Le gouvernement chinois a exprimé le regret auprès de la partie américaine, parce que c’était une entrée involontaire. Au début, je pense que les Américains ont accepté cette explication, parce que selon le Pentagone ce ballon « ne présente pas de menace militaire ou physique pour les personnes au sol ». Ils ont demandé à la Chine de faire quitter le ballon le plus vite possible. Mais ce qui est incompréhensible est qu’en demandant la partie chinoise de le faire, ils ont abattu le ballon le lendemain, tandis que le ballon était déjà sur le point de partir.


Q : Ils auraient dû l’abattre plus tôt en fait.


R : Il ne faut pas l’abattre. Les Américains ont dit ne pas vouloir l’abattre. Mais ce qu’ils ont fait est le contraire de ce qu’ils avaient dit. Le ballon s’était éloigné du continent américain alors qu’ils l’ont abattu. 


Q : C’était peut-être pour empêcher après que des informations soient transmises par le ballon ?


R : On a dit que ce n’est pas un ballon espion mais un ballon météo.


Q : Vous dites que c’est un ballon météo. Sauf que ce ballon météo, il a survolé une base dans le Montana qui abrite des têtes nucléaires dans des silos, on voit ici ce chemin, la base aérienne de Malmstrom. Évidemment, les Américains se sont dit : ce n’est pas complètement par hasard. Vous pouvez comprendre ça ou pas?


R : Le gouvernement chinois a dit que c’est un ballon malmanœuvré. Il a été poussé par des vents de l’ouest et a dévié de la trajectoire prévue, c’est incontrôlable dans ce cas-là.


Q : Il se trouve qu’il y a un autre ballon qui a été repéré en Amérique latine. Et là aussi, vous dites qu’il a dévié de la trajectoire prévue ? Vous avouez que ça fait peut-être un peu beaucoup ?


R : C’est fort probable qu’il a dévié aussi. Vous savez que ce genre de ballons n’est pas de haute technologie. On les lance dans l’air seulement pour faire des observations météorologiques ou bien des essais de vol. On ne peut pas les guider très précisément.


Q : Franchement, qu’auriez-vous fait si un ballon américain avait survolé le territoire chinois, est-ce que vous ne l’auriez pas abattu également ?


R : Il s’est passé plusieurs fois. Mais à chaque fois, on le traite à bas bruit sans faire de tapage médiatique.


Q : Vous avez déjà repéré des ballons espions ou météo américains au-dessus de la Chine ?


R : Je ne suis pas expert dans ce domaine. Après cette affaire, il y a des reportages et discussions sur les réseaux sociaux en Chine. On dit qu’il s’est passé auparavant ce genre d’affaires, des ballons américains ou bien d’autres pays ont volé dans l’espace aérien chinois.


Q : Et qu’est-ce que vous faites dans ces cas-là, si ce sont des ballons espions ?


R : Selon les réseaux sociaux, si on a une forte suspicion sur les motifs de ces ballons, on les abat aussi. Je n’en ai pas de preuves solides.


Q : Vous n’avez pas de preuves solides, mais vous nous dites, semble-t-il, que la Chine a déjà abattu ce genre de ballons en pensant que c’était des ballons espions. 


R : Oui. 


Q : Donc après tout, ce n’est pas si choquant que les Américains l’ont fait. 


R : Ce n’est pas choquant de l’abattre. Mais ce qui est choquant, c’est que les Américains ont déjà exprimé leur compréhension vis-à-vis des explications chinoises et ont promis apparemment de ne pas l’abattre. Mais enfin, ils l’ont abattu.


Q : Ils vont récupérer les débris. Ça a déjà commencé, semble-t-il. Et là, on va savoir avec les débris. Est-ce que vous faites confiance aux Américains pour dire la vérité ? Parce qu’on va savoir avec ce qu’ils ont récupéré. On aperçoit quelques débris d’ores et déjà récupérés dans la mer.


R : Je pense que les Américains doivent rendre les débris à la Chine, parce que ce sont des biens chinois.


Q : Mais si c’est un simple ballon météo, quelle importance ?


R : Même si ce n’est pas important, il faut les rendre à la Chine, parce que ce sont les biens chinois.


Q : Qui se trouvaient sur le territoire américain ? C’est ce que vont vous dire les Américains : il fallait pas nous les envoyer si vous ne vouliez pas que...


R : Si les Américains ne veulent pas les rendre, c’est leur affaire. Cela démontre leur déloyauté. 


Q : Pourquoi ? Ils les ont récupérés sur leur territoire. 


R : Si on ramasse quelque chose dans la rue, on doit les rendre au propriétaire, si on connaît qui est propriétaire. 


Q : Même si quelqu’un est venu chez vous par effraction ?


R : Mais il y a la communication, n’est-ce pas ? Il y a la communication entre la Chine et les États-Unis aux différents échelons. Mais pourquoi on ne fait pas selon ce qu’on se communique ? Il ne faut pas agir unilatéralement.


Q : Cela dit, visiblement, Joe Biden a attendu avant de faire abattre le ballon, et les Républicains voulaient l’abattre plus tôt. C’est peut-être pour ça que la décision a été prise dans un second temps, semble-t-il.


R : Ce sont les affaires intérieures. C’est la dispute entre les partis politiques des États-Unis.


Q : La Chine dit qu’elle se réserve le droit de répliquer après ce qui s’est passé. Ça peut consister en quoi , une réplique chinoise en l’occurrence ?


R : Je me souviens que le Vice-Ministre chinois des Affaires étrangères a dit qu’on se réserverait le droit de prendre les mesures nécessaires.


Q : Absolument.


R : Alors, les mesures nécessaires, vous allez comprendre.


Q : Non. Pourriez-vous nous expliquer ?


R : Ça veut dire nécessaire à chaque cas de situation.


Q : C’est-à-dire au cas par cas à chaque fois ?


R : Oui, bien sûr.


Q : Alors parfois, ce à quoi on assiste quand il y a des tensions, ce sont des manœuvres militaires chinoises, notamment dans le détroit de Taiwan. Est-ce qu’on pourrait peut-être assister à ce genre de choses dans les jours qui viennent ?


R : La Chine agira selon le droit international, selon nos intérêts nationaux, et selon la situation précise sur place.


Q : Et plus concrètement, ça peut vouloir dire quoi comme action ?


R : On dit généralement, pas concrètement.


Q : D’accord. Donc on attendra de voir. Le Secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken devait venir en Chine. C’était une visite importante, puisqu’aucun Secrétaire d’Etat américain est venu en Chine depuis 2018, et vu le contexte des relations difficiles entre les deux pays, évidemment c’était important. Et il a finalement, à cause de cette affaire, annulé sa venue : « J’ai très clairement exprimé le fait que la présence de ce ballon dans notre espace aérien est une violation de notre souveraineté et du droit international. C’est un acte irresponsable. Et le fait que le gouvernement chinois a suivi cette voie à la veille de ma visite se fait au détriment des discussions que nous devions avoir. » Alors, que lui répondez-vous ?


R : Aussi la Chine que les États-Unis n’ont pas annoncé qu’il y aurait une telle ou telle visite entre les deux pays. Donc il n’est pas question de la reporter, n’est-ce pas ? 


Q : Il était censé venir quand même, il était attendu chez vous.


R : Mais est-ce que vous remarquez que la partie chinoise n’a jamais annoncé qu’il y aurait une visite du Secrétaire d’Etat américain prochainement ? Selon le Secrétaire d’Etat, il reporte cette prétendue visite en Chine à cause de cette affaire du ballon météo. Alors pour moi, je pense que la prétendue visite ne tombe pas à un bon moment, parce que ces derniers temps, les Américains ont fait beaucoup de choses contre la Chine, tant sur le plan militaire, sur le plan scientifique que sur la question de Taiwan. Par exemple, sur le plan militaire, les Américains ont rallié des pays asiatiques, tels que le Japon et la Corée du Sud, pour construire un siège militaire pour contrer la Chine, et ils ont augmenté le nombre de bases militaires aux Philippines. Récemment, le gouvernement américain a encore multiplié des mesures de sanctions et de blocus contre des entreprises scientifiques privées chinoises. Sur la question de Taiwan, ils ont renforcé l’armement de Taiwan. Le président de la Chambre des représentants des États-Unis aurait aussi un programme de visiter Taiwan au mois d’avril prochain. Tout cela enfreint les intérêts vitaux chinois. Le gouvernement chinois a déjà fait plusieurs représentations auprès de l’administration et du parlement américains pour qu’ils cessent de faire ce genre d’activités anti-chinoises, mais ils ne nous ont pas écoutés. Donc je pense que même si M. Blinken vient en Chine, cela ne jouera pas un rôle positif. Sa visite est programmée après la rencontre entre le Président XI Jinping et le Président Biden en marge du Sommet du G20 pour concrétiser les consensus des deux présidents. Mais avant sa visite, les États-Unis ont déjà brisé ces consensus. Alors à quoi ça sert sa visite ?


Q : Donc de toute façon, vous ne souhaitiez pas qu’il vienne ?


R : Selon moi, je pense que ce n’est pas un bon moment.


Q : Même s’il n’y avait pas eu l’affaire du ballon ?


R : Je pense qu’il n’y avait pas une bonne atmosphère pour la visite.


Q : Donc il avait décidé de venir tout seul, sans vous consulter ?


R : Je ne sais pas. Pour réussir la visite, il faut créer de bonnes conditions de part et d’autre.


Q : C’est vrai que vous avez parlé du Sommet de Bali, où on a vu le Président XI et le Président Biden ensemble déterminés à ouvrir une nouvelle page dans leurs relations. Tous ces efforts aujourd’hui sont réduits à néant ? C’est fini ? Zéro ?


R : Le gouvernement chinois est toujours d’avis de développer les relations bilatérales avec les États-Unis selon les principes avancés par le Président XI Jinping, à savoir le respect mutuel, la coexistence pacifique et la coopération gagnant-gagnant. Nous exprimons toujours notre volonté sincère de développer et d’améliorer les relations avec les États-Unis. Il faut que les États-Unis œuvrent dans le même sens avec la Chine. Si seulement la Chine fait des efforts, alors que de l’autre côté les États-Unis font le contraire, on ne peut pas réussir, on ne peut pas atteindre notre objectif.


Q : Alors vous avez parlé de Taiwan. C’est évidemment un sujet très sensible. Je voudrais que vous écoutiez ce qu’a déclaré le patron de la CIA M. Burns. C’était jeudi dernier dans une université américaine. Est-ce qu’il a raison quand il dit ça : le Président XI a demandé à son armée d’être prête pour une invasion de Taiwan en 2027 ? Même s’il précise, je le rappelle, pour que ce soit bien clair, que ça ne veut pas dire qu’il y aura cette invasion d’ici à 2027.


R : Il n’y a pas d’« invasion » parce que Taiwan fait partie de la Chine. Pour résoudre une affaire intérieure, on n’a pas besoin d’invasion, n’est-ce pas ? On ne sortira pas du pays pour envahir d’autres pays. Taiwan, c’est une province de la Chine. Le gouvernement chinois reste toujours prêt à résoudre la question de Taiwan par les moyens pacifiques.


Q : C’est ce moyen-là qui est privilégié aujourd’hui ?


R : Oui, en poursuivant les principes « un pays, deux systèmes » et « réunification pacifique ».


Q : Mais si ça n’avance pas, vous savez que...


R : Maintenant, le problème est qu’à l’île de Taiwan les autorités au pouvoir sont pour l’indépendance. Ce sont des forces sécessionnistes. À l’extérieur, il y a des Américains qui apportent des soutiens et encouragent les forces sécessionnistes de Taiwan à continuer leur fuite en avant dans la poursuite de l’indépendance. Alors que le gouvernement et le peuple chinois sont résolus à réunifier la patrie, donc...


Q : D’ici à 2027 ?


R : Il n’y a pas de calendrier. Mais nous allons certainement réussir cette œuvre de réunification de la patrie par tous les moyens.


Q : Y compris...


R : Toutes les options sont sur la table. Bien sûr, la priorité c’est la réunification pacifique. Mais si ça ne marche pas, nous n’assurons pas que nous ne recourirons pas aux moyens non pacifiques.


Q : Mais dans ce cas-là, les Américains, Joe Biden en l’occurrence, ont dit qu’ils interviendraient...


R : Mais on continue son œuvre. Nous ne serons pas effarouchés par des cris va-t-en-guerre des Américains pour ne pas réunifier la patrie.


Q : Quitte à ce qu’il y ait éventuellement une confrontation entre vos deux pays ?


R : La Chine et les États-Unis ?


Q : Oui.


R : S’il y avait une confrontation, ce serait déclenchée par les Américains, pas par les Chinois.


Q : Le Président XI souhaite que cette question soit réglée, j’imagine, sous son mandat. Donc ça veut dire dans un avenir quand même relativement proche, même si on a bien compris que vous n’alliez pas nous donner un calendrier ce soir.


R : Je ne suis pas au Comité central du parti et je ne sais pas s’il y a un calendrier. Mais je sais que ce sera sûr que le gouvernement et le peuple chinois se déterminent à réunifier la patrie, dont la priorité est la réunification pacifique. Et si ce n’est pas possible, on peut recourir à tous les moyens. Toutes les options sont sur la table.


Q : Est-ce que les évènements qui se sont déroulés en Ukraine ont un petit peu changé les choses sur Taiwan ? Est-ce que le fait que l’Occident, les États-Unis et l’Europe soient solidaires comme ça avec l’Ukraine après l’action russe a peut-être un peu modéré, d’une certaine façon, l’ambition chinoise de faire revenir Taiwan dans son giron rapidement ?


R : Ce que m’apprend la crise ukrainienne, c’est que les Occidentaux doivent être cohérents sur des questions internationales et sur la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de différents pays dans le monde. En Ukraine, vous êtes déterminés à sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale ukrainiennes...


Q : À juste titre.


R : Alors, quand il s’agit de la Chine, à savoir sur la question de Taiwan, vous devez aussi soutenir le gouvernement chinois dans la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Chine, à savoir empêcher l’indépendance de Taiwan.


Q : Mais on peut vous retourner l’objection. La Chine est attachée à la souveraineté territoriale, mais vous n’avez pas encore condamné l’agression russe sur l’Ukraine. Pourquoi ?


R : La position du gouvernement chinois sur la crise ukrainienne reste constante. Selon nous, la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées.


Q : Y compris l’Ukraine ?


R : Oui. Et la Charte des Nations Unies doit être observée toujours.


Q : Alors pourquoi ne pas condamner l’action russe qui viole la souveraineté ukrainienne ? Vous êtes d’accord avec ça ?


R : Et il y a le troisième point. La préoccupation sécuritaire légitime de tous les pays doit être aussi prise en compte. Nous sommes toujours pour la solution pacifique de cette crise-là. Donc, nous considérons que tous les efforts favorables à la solution pacifique de la crise doivent être soutenus.


Q : Vous considérez que la sécurité de la Russie était menacée. Par conséquent, ça justifie la violation de la souveraineté ukrainienne ?


R : Les Russes se sentent menacés en matière de sécurité par l’OTAN depuis des dizaines d’années.


Q : Donc ça justifie l’agression en Ukraine ?


R : Les cinq cycles d’expansion à l’est de l’OTAN constituent une menace considérable de sécurité à la Russie. C’est ce qu’exprime le Président Vladimir Poutine. Il s’oppose fermement à l’intégration de certains pays voisins de la Russie à l’OTAN, y compris l’Ukraine. Vous dites que l’expansion de l’OTAN ne constitue pas une menace sécuritaire à la Russie, mais quand Khrushchev de l’Union soviétique voulait déployer des armes nucléaires à Cuba, quelle a été la réaction du Président Kennedy ?


Q : Mais y avaient-il des missiles de l’OTAN en Ukraine ? La réponse est non.


R : Mais maintenant, si l’OTAN pousse la frontière à la porte de la Russie, elle va déployer aussi des missiles.


Q : Mais il n’y avait pas de projet d’adhésion à l’Ukraine.


R : Il n’y a pas de projet aujourd’hui, mais il y aura des projets demain. Tous les pays ont le droit d’avoir cette préoccupation, n’est-ce pas ?


Q : Alors cette situation entre la Russie et l’Ukraine inquiète beaucoup, parce qu’on voit qu’on n’est pas du tout près d’un règlement pacifique dans les semaines, les mois et peut-être les années qui viennent. Et je voudrais que vous écoutiez le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, qui a dit son pessimisme sur la situation. « L’invasion russe de l’Ukraine inflige des souffrances indicibles au peuple ukrainien avec de profondes implications mondiales. Les perspectives de paix ne cessent de diminuer. Les chances d’une nouvelle escalade et d’un bain de sang ne cessent de croître. Je crains que le monde ne s’avance pas en somnambule vers une guerre plus large. Je crains qu’il ne le fasse les yeux grands ouverts. » Le monde se dirige vers une guerre encore plus large les yeux grands ouverts. Est-ce que c’est un diagnostic très sombre et très pessimiste que vous partagez ce soir ?


R : Je suis pessimiste aussi. Parce que je constate qu’aujourd’hui, l’OTAN ne cesse de fournir des armes de plus en plus lourdes à une partie de la guerre. Il paraît que aucune des deux parties n’a pas l’intention de terminer la guerre tout de suite et que les conditions ne sont pas réunies.


Q : C’est à cause de l’OTAN pour vous que le monde se dirigerait vers une guerre encore plus large, et pas à cause des Russes ?


R : Mais pourquoi on ne peut pas s’asseoir autour de la table pour discuter des préoccupations sécuritaires de toutes les parties, y compris celles de la Russie et de l’Ukraine ?


Q : Mais si demain on dit à la Russie : l’Ukraine n’intégrera pas l’OTAN comme c’était déjà le cas avant, la Russie ne se retirera pas malgré tout du Donbass et de la Crimée ?


R : Mais vous pouvez discuter et négocier. C’est la nature propre de résoudre un problème par voie pacifique.


Q : Vous critiquez beaucoup les livraisons d’armes de l’OTAN et américaines aux forces ukrainiennes. Les Français livrent aussi des armes aux Ukrainiens. Est-ce que pour vous c’est la même chose et vous critiquez la France pour cela ?


R : La Chine reste neutre sur la crise ukrainienne. Mais nous pensons que fournir des armes de plus en plus lourds à une partie de la guerre n’est pas favorable à la cessation de la guerre. C’est un peu comme jeter de l’huile sur le feu.


Q : Mais s’il n’y avait pas d’armes, la guerre serait sans doute effectivement terminée, parce que les Russes l’aurait gagnée très facilement.


R : Mais au début la Russie et l’Ukraine avaient l’intention de négocier. Au mois de mars de l’année dernière, elles sont presque tombées d’accord sur les négociations de paix. Vous vous en souvenez ?


Q : Vous voulez dire en Turquie?


R : Oui. Vous avez dit que la Turquie a joué le rôle de médiateur.


Q : Mais la Turquie a reconnu elle-même que ce n’était pas possible, et qu’en réalité les Russes ne souhaitaient pas discuter ni la paix,  mais souhaitaient gagner du temps.


R : Mais selon les reportages,la Russie et l’Ukraine sont presque tombées d’accord.


Q : Les Occidentaux livrent des armes à l’Ukraine et il y a des médias américains qui disent aussi que la Chine livre non pas des armes complètes mais des éléments du matériel, pour permettre aux Russes de constituer des armes. Est-ce que c’est vrai ou pas ?


R : À vrai dire, je ne sais pas si c’est vrai. Mais je pense qu’en tant que pays souverain, la Chine et la Russie ont le droit de développer des relations de coopération dans tous les domaines. 


Q : La Chine pourrait livrer même des armes aux Russes pour les aider ?


R : Je pense que la Chine, en tant que pays souverain, a le droit de fournir des armes à un autre pays sur un certain principe.


Q : Et pourquoi les Occidentaux n’auraient pas le droit de le faire avec les Ukrainiens alors ?


R : Je n’ai pas dit que vous n’avez pas le droit de les fournir à l’Ukraine. Mais je pense que ce geste n’est pas favorable à la solution pacifique de la crise. 


Q : Si vous fournissez des armes ou des éléments d’armes aux Russes, c’est la même chose, ce n’est pas favorable au règlement pacifique.


R : Le problème est qu’on n’a pas fourni d’armes à la Russie, donc on n’a rien fait à l’encontre de la solution pacifique de la crise.


Q : Vous n’y livrez pas non plus des pièces pour permettre aux Russes de constituer des armes, notamment pour l’aéronautique, dont on parle beaucoup ?


R : Mais des pièces ne sont pas des armes, n’est-ce pas ? Vous, les pays européens disent que même si on fournit des armes, on n’est pas cobelligérant.


Q : Nous aussi ? Les Occidentaux sont cobelligérants ?


R : Je ne sais pas.


Q : Le Président Macron dit que nous ne sommes pas cobelligérants. Il a tort ? 


R : C’est votre position.


Q : C’est la position du Président Macron. Mais vous pensez que c’est vrai ou pas ? Quand on livre des armes, on est cobelligérant ?


R : Même des experts des relations internationales et du droit international n’ont pas une évaluation précise. Parce que cela dépend de la politique et la position de différents pays. Peut-être un jour les membres de l’OTAN peuvent prétendre qu’on serait un belligérant. Par exemple, il y a quelques mois les pays européens refusaient de fournir les chars lourds à l’Ukraine, mais maintenant ils les ont fournis à l’Ukraine. Aujourd’hui, ils refusent de fournir des avions de combat, mais peut-être dans quelques mois, ils les fourniront. 


Q : Pilotés par les Ukrainiens ?


R : Je ne sais pas. C’est hypothétique et ce n’est pas encore passé. Alors ce que je veux dire, c’est que tout dépend de la position ou de l’évaluation de ces différents pays sur l’avenir de la crise.


Q : Mais aujourd’hui dans la situation actuelle, est-ce que les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et plein d’autres sont de votre point de vue des cobelligérants dans ce conflit ?


R : Je ne fais pas de commentaire sur cette question. Parce que cela change et cela changera encore.


Q : D’accord. Il y a d’autres paliers d’implication des Occidentaux qui vous semble être franchis dans ce conflit ?


R : Depuis le début du conflit, on a déjà constaté tous ces phénomènes. Les lignes rouges ont été franchies sans cesse.


Q : Il y a une ligne rouge que les Russes brandissent de façon un peu sous-entendue, sans dire le mot souvent. Vladimir Poutine ne le dit pas, mais il sous-entend que la ligne rouge est l’arme atomique. Et on dit beaucoup qu’il ne l’emploiera jamais grâce à vous, les Chinois. Vous le refusez catégoriquement et lui mettez la pression pour qu’il ne le fasse jamais. Est-ce que c’est le cas ?


R :Est-ce que les Russes et Vladimir Poutine ont utilisé précisément le mot atomique ?


Q : Je vous ai dit non, pas encore. Il le sous-entend.


R : Cela laisse l’espace d’imaginer. Vous pouvez l’imaginer. Pas la peine de me demander si la Chine prend telle ou telle position vis-à-vis de la Russie sur cette question.


Q : Mais on se souvient qu’à Samarcande, le Président XI Jinping a vu le Président Vladimir Poutine, et le Président Poutine lui a dit : je comprends vos préoccupations. On ne savait pas trop à quoi il faisait allusion quand il parlait des préoccupations du Président XI Jinping. Est-ce que les préoccupations du Président XI Jinping concernaient une éventuelle utilisation d’armes nucléaires ?


R : La Chine a sa position sur les armes nucléaires. Depuis le premier jour que nous possédions les armes nucléaires, nous déclarons que la Chine n’emploiera jamais en premier les armes nucléaires ni aux pays non nucléaires. C’est notre position.


Q : Et vous pensez que les Russes doivent aussi être dans la même position ? 


R : C’est notre position. Ce n’est pas la position de la Russie et non plus celle de la France et des pays occidentaux.


Q : Le Président Poutine a laissé entendre, mais vous allez nous dire si c’est vrai ou pas, que le Président chinois pourrait venir à Moscou dans les jours qui viennent. Est-ce que c’est une information que vous nous confirmez, qui n’a pas encore été confirmée côté chinois ?


R : Du côté chinois, nous n’avons annoncé aucune information là-dessus.


Q : Et vous le souhaitez ? Vous pensez que ce serait une bonne idée ?


R : Les autorités chinoises n’ont rien annoncé. 


Q : Ce serait bien ? Ce serait souhaitable ? 


R : Mais au vu du niveau élevé des relations bilatérales entre la Chine et la Russie, c’est très normal que les deux dirigeants se rencontrent en face à face.


Q : Que pourrait dire XI Jinping, s’il va demain voir Vladimir Poutine ?


R : Mais ça ne s’est pas encore passé.


Q : Non, mais si ça se passe, il faut bien qu’il vienne pour lui dire quelque chose ou un message.


R : Je pense qu’auparavant, dans chacune de leurs rencontres, les deux dirigeants parlent toujours du développement des relations d’amitié et de coopération bilatérale.


Q : Merci beaucoup Monsieur l’Ambassadeur pour être venu ce soir dans Un œil sur le Monde.


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