Q : Dans la soirée du 18 mars, le Président Xi Jinping a eu, sur demande, un entretien en visioconférence avec le Président américain Joe Biden. Il s’agit d’un nouvel échange vidéo entre les Chefs d’État chinois et américain depuis leur entretien en visio en novembre dernier, ce qui a suscité une grande attention de tous les horizons en France et en Europe. Monsieur l’Ambassadeur, selon vous, quels sont les enjeux de cet entretien en visio ? Quel signal a-t-il envoyé ?
R : A peine plus de quatre mois après le dernier entretien en visioconférence entre les Chefs d’État chinois et américain, la situation internationale a connu d’importants changements : la crise ukrainienne a éclaté, l’épidémie de COVID-19 persiste, la paix et le développement dans le monde font face à de sérieux défis, le monde n’est ni stable ni tranquille. C’est à ce moment crucial que cet entretien a eu lieu.
Ces derniers temps, les pays occidentaux avec à leur tête les États-Unis ont pris une série de sanctions unilatérales, ce qui n’a non seulement pas permis de résoudre la crise ukrainienne, mais a encore aggravé les tensions, voire engendré des risques susceptibles de provoquer de graves crises au monde sur les plans économique, commercial, financier, énergétique, alimentaire et des chaînes industrielles et d’approvisionnement. Dans ce contexte-là, le besoin pour les États-Unis de dialoguer et de communiquer avec la Chine augmente.
Cet entretien en visio entre les deux Chefs d’État a été proposé par la partie américaine. Partant de la nécessité de développer les relations sino-américaines, de favoriser la paix et promouvoir les pourparlers sur la question ukrainienne, et d’exhorter la partie américaine à adopter une position juste, la partie chinoise a accepté cette proposition.
L’entretien a eu lieu de 21h00 à 22h50, heure de Beijing, soit près de deux heures. Les deux Chefs d’État ont eu des échanges de vues francs et approfondis sur les relations sino-américaines, la situation en Ukraine et les autres questions d’intérêt commun. Ils estiment tous les deux que cet entretien était constructif.
Lors de l’entretien, le Président Xi Jinping a noté que les pays du monde éprouvent actuellement de grandes difficultés en s’efforçant de lutter contre l’épidémie et de préserver l’économie et le bien-être social. Il a souligné l’importance pour le Président Biden et lui-même, en tant que dirigeants de grands pays, de réfléchir sur la manière de régler adéquatement les dossiers brûlants internationaux, et surtout de garder à l’esprit la stabilité mondiale et la vie des milliards de personnes.
Ces propos non seulement montrent le sens de responsabilité du Président Xi Jinping en tant que dirigeant d’un grand pays et la primauté qu’il donne au peuple, mais aussi rappellent en filigrane à la partie américaine que si elle continue à mal évaluer la situation et mal agir sur des questions majeures d’importance mondiale, elle ne verra que la situation escalader, suivie des pertes irréparables.
Le Président Xi Jinping a souligné que la Chine et les États-Unis, membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et deux plus grandes économies au monde, devaient non seulement assurer le développement de leurs relations sur de bons rails, mais aussi assumer les responsabilités internationales qui leur incombent et œuvrer à la paix et à la stabilité dans le monde.
Il ne fait aucun doute que, dans la situation internationale actuelle, le renforcement du dialogue et de la coopération entre la Chine et les États-Unis est dans l’intérêt des deux peuples et répond aux attentes communes de la communauté internationale.
Q : Depuis l’entrée en fonction de l’administration Biden, on constate un élargissement des divergences entre la Chine et les États-Unis et de graves défis rarement vus depuis l’établissement de leurs relations diplomatiques. Monsieur l’Ambassadeur, selon vous, comment voir la situation actuelle et l’avenir des relations sino-américaines ?
R : Lors de cet entretien, le Président Biden a réaffirmé que les États-Unis ne cherchaient pas à faire une nouvelle guerre froide avec la Chine ou à changer son système, que la revitalisation de leurs alliances ne visait pas la Chine, qu’ils ne soutenaient pas l’« indépendance de Taiwan » et qu’ils n’avaient pas l’intention d’entrer en conflit avec la Chine. C’est exactement ce qu’il avait promis à la partie chinoise lors du sommet virtuel sino-américain de l’année dernière.
Le Président Xi Jinping attache une grande importance à ces déclarations. Il a souligné que si les relations sino-américaines n’étaient pas encore sorties des difficultés causées par l’administration américaine précédente et faisaient face à des défis de plus en plus nombreux, c’est parce que certaines personnes aux Etats-Unis n’ont pas mis en œuvre les consensus importants que les deux Chefs d’Etat avaient dégagés, ni les déclarations positives du Président Biden.
Qui plus est, certains politiciens américains s’accrochent à la mentalité de la guerre froide et ne cessent jouer la provocation sur les questions touchant aux intérêts vitaux de la Chine : ils enhardissent et soutiennent les forces prônant l’« indépendance de Taiwan » et tentent d’obscurcir et vider le principe d’une seule Chine ; ils se servent de la question ukrainienne pour diffuser de fausses informations, déformer et dénigrer la position de la Chine, voire crient des sanctions contre la Chine ; ils pointent du doigt la Chine sur les questions liées au Xinjiang, au Xizang et à Hong Kong et s’immiscent dans ses affaires intérieures. Ce n’est évidemment pas ce que doit faire un grand pays responsable ou un pays crédible.
En fait, il est tout à fait naturel que la Chine et les États-Unis aient des divergences, vu leurs différences en termes de système, de culture et de stade de développement. Comme l’a dit le Président Xi Jinping, l’essentiel est de bien gérer ces divergences.
Lors de cet entretien en visio, les deux Chefs d’État estimaient nécessaire pour la Chine et les États-Unis de se respecter mutuellement, de coexister en paix, d’éviter la confrontation et de renforcer la communication et le dialogue à différents niveaux et dans différents domaines. Ils ont demandé à leurs équipes d’assurer le suivi de leur entretien et de prendre des actions concrètes pour que les relations sino-américaines retournent sur les rails d’un développement stable, et de faire des efforts respectifs en vue d’un règlement judicieux de la crise ukrainienne.
En outre, au cours de l’entretien en visio, le Président Biden a mentionné le Communiqué de Shanghai. Il y a 50 ans, en gérant adéquatement leurs divergences, en recherchant un terrain d’entente par-delà les différences, en remplaçant la confrontation par la coopération, la Chine et les États-Unis ont publié conjointement le Communiqué de Shanghai qui définissait les principes régissant les relations bilatérales entre les deux pays, ce qui était dans l’intérêt des deux pays et des deux peuples. Aujourd’hui, les relations sino-américaines se trouvent de nouveau à un moment critique. Les deux pays parviendront-ils à renouer avec l’engagement initial qui avait permis de dégeler leurs relations il y a 50 ans ? Reste à voir ce que fera la partie américaine et à quel point elle est sincère.
Q : Actuellement, la crise ukrainienne est « l’œil du cyclone » dans la situation internationale. Selon les reportages des médias français, à la veille de ce sommet virtuel sino-américain, l’administration Biden accentuait la pression sur la Chine pour l’obliger à « choisir le camp ». Monsieur l’Ambassadeur, selon vous, comment interpréter la position exprimée par la Chine dans ce sommet virtuel sino-américain ? Quel rôle jouera la Chine pour le règlement de la crise ukrainienne ?
R : La question ukrainienne a été un sujet important de cet entretien entre les dirigeants chinois et américain, et a attiré une grande attention de la communauté internationale. Récemment, le Président Xi Jinping s’est respectivement entretenu par téléphone avec les dirigeants de la Russie, de la France et de l’Allemagne, et a tenu un sommet en visioconférence avec les deux derniers, pour exposer la position de la Chine et amener les différentes parties à régler les problèmes par voie de négociation.
Au cours du sommet virtuel sino-américain, le Président Xi Jinping a souligné que la situation actuelle a une fois de plus montré que les relations interétatiques ne peuvent pas dégénérer en conflits armés, que les conflits et confrontation ne sont dans l’intérêt de personne, et que la paix et la sécurité sont les trésors que la communauté internationale doit chérir le plus.
La paix, tout comme l’air et le soleil, est une chose dont on s’aperçoit à peine quand on en bénéficie mais sans laquelle on ne peut pas vivre. La Chine n’est pas directement concernée par la question ukrainienne, mais elle adopte une attitude à la hauteur de son statut de grand pays responsable et a toujours joué un rôle constructif pour favoriser la paix et promouvoir les pourparlers.
Quels sont les principes fondamentaux à poursuivre dans la gestion de la crise ukrainienne ? Quels en sont les clés ? Lors de cet entretien en visio, le Président Xi Jinping a exposé en détail la position de la Chine sur ces questions et a proposé des solutions, à savoir : l’urgent est de poursuivre le dialogue et les négociations, d’éviter de causer des blessés et des morts parmi les civils, de prévenir une crise humanitaire et de faire cesser rapidement les combats; et la solution de long terme exige que les grands pays se respectent mutuellement, rejettent la mentalité de la guerre froide et la confrontation des blocs et mettent progressivement en place une architecture de sécurité équilibrée, effective et durable dans le monde et dans la région. Comme l’a souligné le Président Xi Jinping, il faut créer de l’espace pour la paix et ménager des marges pour le règlement politique.
Plus la situation est complexe, plus il faut garder le sang-froid et la raison. Comme le dit un dicton chinois, « on n’applaudit pas d’une seule main ». La sécurité d’un pays peut-elle se faire au détriment de la sécurité des autres ? La sécurité régionale peut-elle être garantie par le renforcement voire l’expansion des blocs militaires ? Les contextes profonds derrière la crise ukrainienne méritent une réflexion approfondie, et la leçon en est très douloureuse. Les petits pays ne doivent pas servir de pions dans le jeu géopolitique des grands pays, sinon ils subiront des conséquences catastrophiques et leur peuple en sera la première victime. Les grands pays ne doivent pas non plus instrumentaliser les petits pays comme des pions pour leurs propres intérêts égoïstes, ce qui est extrêmement immoral et méprisable. L’architecture de la sécurité de l’Europe doit être construite conjointement par les pays européens, au lieu de se laisser dicter par d’autres pays.
Un dicton chinois dit, « c’est à celui qui a accroché la clochette au tigre de la décrocher ». Il est impératif pour les parties impliquées de faire preuve de volonté politique et de trouver des solutions adéquates, en tenant compte du présent et du long terme. Les autres parties peuvent et doivent créer des conditions dans ce sens.
Comme l’a souligné le Président Xi Jinping, les différentes parties doivent soutenir ensemble le dialogue et les négociations entre la Russie et l’Ukraine pour qu’ils aboutissent à des résultats et à la paix. Les États-Unis et l’OTAN doivent aussi engager un dialogue avec la Russie pour dénouer le nœud de la crise ukrainienne et apaiser les préoccupations sécuritaires de la Russie et de l’Ukraine. La Chine œuvre depuis toujours à la paix et continuera à jouer un rôle constructif dans ce sens.