M. le Président Baillet,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Bonsoir ! Je suis très heureux d’être invité à ce dîner-débat pour échanger avec vous.
Vous travaillez dans differents domaines et portez tous interêt à la Chine et aux relations franco-chinoises. Comme vous le savez, en cette année du 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, le Président chinois Xi Jinping a effectué avec succès une nouvelle visite d’Etat en France. Tout d’abord, je vous invite à revivre en vidéo les moments forts de cette visite.
Cette visite revêt une importance charnière pour les relations sino-françaises. D’abord parce qu’elle a été riche en activités. En trois jours, à Paris et dans la province, près de dix événements ont été organisés, entre autres, des sequences officielles et solennelles, mais aussi des échanges « sans cravate ». À l’Etape du Berger, le restaurant soigneusement choisi par le président Macron et tenu par son vieil ami, situé aux Hautes-Pyrénées où vivait sa grand-mère, les deux chefs d’État ont eu, pendant de longues heures, un échange stratégique approfondi et de qualité en tête-à-tête sur des grands sujets, tels que les relations sino-françaises, les relations sino-européennes et la situation internationale, ce qui a permis d’approfondir leur confiance mutuelle politique et leur amitié personnelle.
Ensuite parce qu’elle a été fructueuse en résultats. Les deux chefs d’État sont parvenus aux consensus suivants : La Chine et la France doivent poursuivre l’engagement initial de l’établissement des relations diplomatiques, à savoir l’indépendance, la compréhension mutuelle, la clairvoyance et le bénéfice partagé, et y injecter les connotations de notre temps, pour développer leurs relations avec comme mots d’ordre confiance mutuelle, stabilité, fidélité, innovation et sens des responsablités. Elles doivent consolider la stabilité stratégique des relations bilatérales, exploiter le vaste potentiel de coopération mutuellement bénéfique, accélérer les échanges humains et forger un consensus plus large sur la coopération internationale. Quatre déclarations conjointes ont été publiées, sur la situation au Moyen-Orient, l’intelligence artificielle et la gouvernance mondiale, la biodiversité et l’océan, ainsi que les échanges et la coopération agricoles. Près de 20 accords de coopération intergouvernementale ont été signés. Un entretien tripartite Chine-France-UE a également eu lieu, non seulement pour renforcer la confiance, dissiper les doutes et dégager les consensus sur la coopération sino-europénne, mais aussi pour échanger sur les questions d’actualités internationales et régionales.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
La Chine et la France sont deux grands pays à l’influence mondiale. Leurs relations vont au-delà du simple cadre bilatéral. C’est pourquoi je voudrais vous parler ce soir de quatre sujets qui, peut-être, vous intéressent le plus : relations économiques et commerciales Chine-UE, crise en Ukraine, situation au Moyen-Orient et relations sino-américaines.
D’abord, les relations économiques et commerciales Chine-UE. Récemment, l’UE a pris de mesures de sauvegarde commerciale contre la Chine, comme les enquêtes anti-subvention sur les véhicules électriques et les éoliennes. Et on crie aux « surcapacités chinoises » et au « dérisquage ».
En fait, la « surcapacité chinoise » est une fausse question. Les questions commerciales sont au fond la question de compétitivité. Si l’industrie chinoise des nouvelles énergies est au premier rang mondial, c’est parce qu’elle sait prévoir, innover, parce qu’elle a un écosystème industriel complet et un hyper marché intérieur. Non seulement elle a atténué l’inflation mondiale, mais aussi elle a largement contribué à la réponse mondiale au changement climatique et à la transition écologique.
Beaucoup d’amis français partagent cet avis. Comme Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP Business School, l’a souligné, la France ne souffre pas d’une concurrence déloyale de la Chine, mais d’une demande excessive par rapport à sa production. Si une marchandise n’est pas compétitive, c’est au pays qui la produit de trouver une solution, plutôt que de blâmer les autres, et pire encore de brandir la bannière de la « concurrence loyale » pour recourir à des pratiques non marché. C’est ça la véritable « concurrence déloyale ».
Le plus grand risque pour nous, c’est de non coopérer. La Chine et l’Europe sont d’importants partenaires commerciaux l’une pour l’autre. Elles sont depuis longtemps interdépendantes. La guerre commerciale lancée par les États-Unis contre la Chine l’a déjà prouvé : vulgariser la question de la sécurité, c’est de se tromper soi-même, se chercher des ennuis, et plus encore, se murer dans ses limites. Le protectionnisme est le court-termisme. Il n’aide pas à renforcer la compétitivité, mais amenuisera le pouvoir d’achat de ceux qui la pratiquent. La reprise économique mondiale étant morose, si l’Europe emboîte le pas aux États-Unis pour renoncer au libre-échange, ce sera un coup fatal au système économique et commercial international.
Pour régler les différends commerciaux, on ne peut que suivre la logique commerciale. De nos points de vue, il n’y pas de différend commercial qui ne puisse être résolu. Le dialogue peut améliorer la compréhension, la confiance mutuelle peut réduire les risques, et la coopération favorisera le développement commun.
Actuellement, la Chine s’efforce de cultiver la « productivité de nouvelle qualité », l’UE travaille à une « réindustrialisation » basée sur l’innovation verte. Les deux parties disposent d’un vaste espace de coopération dans la transition écologique et numérique, et peuvent devenir des partenaires clé dans la coopération économique et commerciale, des partenaires prioritaires dans la coopération scientifique et technologique, et des partenaires crédibles en matière de chaîne industrielle et d’approvisionnement. La Chine a entièrement libéralisé l’accès à son secteur manufacturier et accélérera l’ouverture du marché des télécommunications, de la médecine et d’autres services. Elle sera heureuse de voir davantage d’entreprises européennes investir en Chine. De manière réciproque, nous espérons que la partie européenne prendra au sérieux nos préoccupations légitimes et offrira aux entreprises chinoises un climat d’affaires ouvert, équitable et non discriminatoire, ainsi que des prévisions stables.
Le deuxième sujet, la crise ukrainienne. Cette crise a ravivé les combats sur le continent européen. Nous comprenons la profonde inquiétude de nos amis français. Mais nous pensons que la question ukrainienne doit être envisagée et résolue non seulement à la lumière de la situation actuelle, mais aussi en tenant compte du contexte historique.
Si l’on regarde ce qui s’est passé à partir du 24 février 2022, la responsabilité incombe à la Russie, car c’est elle qui a déclenché l’opération militaire. Cependant, si l’on remonte à 1997, les États-Unis et l’OTAN sont les premiers responsables. Les cinq cycles d’expansion vers l’Est menés par l’OTAN sous la domination américaine ont grignoté l’espace de sécurité de la Russie. Cela l’a obligée à se défendre par la force. D’un point de vue plus profond, la crise ukrainienne est au fond l’explosion des contradictions causées par le déséquilibre invétéré de l’architecture de sécurité européenne de l’après-guerre froide. Le professeur Kissinger n’a-t-il pas souligné un jour que c’était une erreur de ne pas « intégrer la Russie dans un ensemble de sécurité en Europe » ?
Comment résoudre cette crise qui fait rage depuis plus de deux ans est un test pour la sagesse politique de tous les pays du monde. Tout conflit finit par être résolu par le dialogue et la négociation. Si la Chine n’est ni à l’origine de la crise, ni partie prenante, ni participante, elle n’a pas croisé les bras, ni jeté de l’huile sur le feu en fournissant des armes à quelconque partie au conflit. Elle a travaillé à la paix et à la réconciliation à sa propre manière. On peut citer comme exemple l’initiative chinoise en 12 points pour le règlement politique de la crise, et les trois tours de médiation menés par l’envoyé spécial du gouvernement chinois pour les affaires eurasiennes. Ce que la Chine appelle, c’est la tenue rapide d’une conférence de paix internationale approuvée par la Russie et l’Ukraine, où toutes les parties concernées participent sur un pied d’égalité et discutent sans parti pris de toutes les options de paix, afin de construire un cadre de sécurité européen équilibré, efficace et durable. Conjointement avec la France, la Chine appelle également à une « trêve olympique », par la voix des deux présidents.
Néanmoins, certaines forces profitent de cette crise pour crier à l’« alliance Chine-Russie » et à la « responsabilité de la Chine ». Non seulement elles accusent gratuitement les relations et le commerce normal entre la Chine et la Russie, mais elles exigent que la Chine fasse pression sur Poutine pour qu’il arrête la guerre.
Je voudrais souligner que la Russie est un grand pays indépendant et que la Chine ne peut pas manipuler la Russie comme les États-Unis le font avec leurs alliés. La Russie et l’Europe sont toutes deux amies de la Chine. Nous veillons à tenir compte des intérêts et préoccupations de nos amis européens dans la mesure du possible, et c’est exactement ce que nous faisons. Mais nous ne le faisons pas au prix d’une rupture avec la Russie. Si les États-Unis disent que l’ami de la Russie égale l’ennemi de l’Europe, c’est pour saper les relations entre la Chine, la France et l’Europe. J’espère que nos amis européens ne tomberont pas dans cette duperie.
Ensuite le troisième sujet, la situation au Moyen-Orient. Le conflit israélo-palestinien s’est intensifié, entraînant la mort de plus de 35 000 civils palestiniens et le déplacement de millions de personnes. Plusieurs fosses communes ont été découvertes dans la bande de Gaza. Tandis que les États-Unis, pour préserver leurs intérêts hégémoniques, ont à maintes reprises pris le parti d’Israël, approuvant le siège enragé de Gaza et la déportation forcée de la population locale par le gouvernement Netanyahu, empêchant ainsi la mise en œuvre effective des résolutions du Conseil de sécurité. Tout cela viole la ligne rouge de la conscience humaine, piétine la justice internationale, d’autant plus qu’il se passe au XXIe siècle.
Il y a six mois, la Chine a publié un document de position sur le règlement du conflit israélo-palestinien. Elle œuvre activement pour la médiation, et a récemment invité le Fatah et le Hamas à mener des consultations franches à Beijing en vue d’une réconciliation intra-palestinienne. Notre position est constante : pour résoudre cette question, la plus grande urgence est de réaliser un cessez-le-feu et une cessation des hostilités global, la plus grande priorité est d’assurer l’aide humanitaire, le règlement passe finalement par la mise en œuvre de la « solution à deux États ». Tout arrangement concernant la future gouvernance de Gaza doit respecter la volonté et le choix indépendant du peuple palestinien.
Entre la Chine, la France et l’UE, il y a beaucoup de consensus, comme en témoigne la déclaration conjointe sino-française sur la situation au Moyen-Orient. Nous serons heureux de voir nous rejoindre la partie européenne pour soutenir l’adhésion pleine et entière de la Palestine aux Nations unies, pour convoquer dès que possible une conférence internationale de paix plus large, faisant plus d’autorité et plus efficace, et pour formuler un calendrier et une feuille de route concret de la solution à deux États.
Enfin, je voudrais parler de la relation entre la Chine et les États-Unis. L’évolution de leurs relations met en jeu la façon dont deux grands pays s’entendent, mais aussi aura un impact considérable sur l’évolution de la situation internationale, sur l’autonomie stratégique de l’Europe et son statut international dans un monde multipolaire.
Si les concurrences et contradictions sont monnaie courante entre pays, ces dernières années, les États-Unis se cramponnent à la mentalité de la guerre froide et à la logique du jeu à somme nulle, et font tout ce qu’ils peuvent pour contenir la Chine tant sur les plans du commerce, de la science, que de l’idéologie, de la sécurité stratégique, et forcer les autres pays à choisir leur camp. De la chasse à Huawei et d’autres entreprises technologiques chinoises, à la restriction des exportations de puces à usage purement civil vers la Chine, en passant par les droits de douane de 100 % imposés sur les voitures électriques chinoises, ce que font les États-Unis n’ont cessé de prouver que, les règles internationales dont ils parlent sont la loi de la jungle, et que leur objectif ultime, c’est d’interrompre le processus de développement de la Chine et de conserver leur position hégémonique dans le monde.
Face aux provocations des États-Unis, la Chine a toujours fait preuve de raison et de retenue, tout en défendant résolument sa souveraineté, sa sécurité et son droit au développement. Les faits ont prouvé que l’hégémonie et l’intimidation sont impopulaires et insoutenables, et qu’aucune force ne peut arrêter l’émergence pacifique de la Chine. Telle est la réalité que l’élite politique américaine doit regarder en face. Les États-Unis ne pourront pas « soigner leurs maladies en demandant aux autres de prendre les médicaments », sinon, ils pourraient entraîner le monde dans une crise plus grave !
L’Europe, allié traditionnel des États-Unis, est la première partie que l’administration Biden cherche à fédérer contre la Chine. Est-ce que c’est dans l’intérêt de l’Europe de suivre aveuglément les États-Unis dans la politique vis-à-vis de la Chine, et de les aider à maintenir l’hégémonie au détriment des relations Chine-Europe ? La réponse est bien claire. Dans un monde en pleine mutation, l’Europe doit prendre son destin en main, défendre résolument son autonomie stratégique et devenir une force importante dans le monde multipolaire, au lieu d’arrimer son avenir au futur de l’hégémonie américaine.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Pour terminer, revenons aux relations sino-françaises. Ambassadeur en France depuis cinq ans, je suis fier de l’excellence des relations bilatérales et j’ai le sentiment profond que la Chine et la France sont amis aux mêmes tempéraments.
Toutes deux indépendantes, la Chine et la France ont franchi la barrière de la guerre froide il y a 60 ans pour se serrer la main, poussant le monde à évoluer dans la bonne direction du dialogue et de la coopération. Henry de Montherlant disait, « la gloire des grands hommes est comme les ombres : elle s’allonge avec leur couchant ». 60 ans plus tard, le précieux héritage historique laissé par le président Mao Zedong et le général Charles de Gaulle est non seulement resté intact, mais a permis aux relations sino-françaises d’être toujours à l’avant-garde des relations Chine-Occident, sur fond de situation internationale complexe.
Toutes deux ouvertes et inclusives, la Chine et la France s’admirent et s’attirent l’une l’autre. Depuis l’échange de lettres entre l’empereur Kangxi et le roi Louis XIV il y a plus de 300 ans, jusqu’au mouvement travail-études en France il y a 100 ans, et à l’ouverture mutuelle de centres culturels il y a 20 ans et la mise en place du dialogue de haut niveau sur les échanges humains il y a 10 ans, les cœurs des Chinois et Français se rapprochent toujours plus. En cette année sino-française du tourisme culturel, la Chine a annoncé le prolongement de l’exemption de visa jusqu’à la fin de 2025 pour les voyageurs français de courte durée. La France sera l’invitée d’honneur de la Foire internationale du commerce des services de Chine et de l’Exposition internationale d’importation de Chine.
Toutes deux dotées d’une vision mondiale, la Chine et la France maintiennt une bonne communication dans les affaires internationales et régionales, et travaillent en étroite collaboration pour relever les défis mondiaux, ce qui a conduit à l’Accord de Paris sur le changement climatique et au Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Face au contre-courant de l’unilatéralisme, de l’hégémonisme et du protectionnisme, elles sont du bon côté de l’Histoire et injectent une stabilité et une certitude précieuses au monde.
Le monde d’aujourd’hui est loin d’être paisible. La situation internationale est tumultueuse et changeante. La Chine et la France, toutes les deux membres permanents du Conseil de sécurité et grandes civilisations, doivent assumer une plus grande responsabilité.
Nous devons défendre la paix et la sécurité. La Chine a avancé l’Initiative pour la sécurité mondiale. Elle entend renforcer la communication stratégique avec la France et envoyer ensemble un signal clair contre les conflits et confrontations, afin de promouvoir l’avènement d’un monde multipolaire équitable et ordonné.
Nous devons contribuer à la prospérité commune. La Chine a avancé l’Initiative pour le développement mondial. Elle entend approfondir la coopération avec la France dans des domaines traditionnels tels que l’aérospatiale et l’aéronautique, étendre la coopération dans des domaines émergents tels que l’énergie verte et l’intelligence artificielle, préserver ensemble l’ouverture et la stabilité des chaînes industrielle et d’approvisionnement mondiales, afin de réaliser une mondialisation économique bénéfique pour tous et inclusive.
Nous devons favoriser la compréhension mutuelle entre civilisations. La Chine a avancé l’Initiative pour la civilisation mondiale. Elle entend renforcer la coopération avec la France dans la culture, l’éducation et le tourisme, accroître la mobilité humaine, approfondir la compréhension mutuelle, surmonter les malentendus et divergences, afin de promouvoir encore l’amitié entre les deux peuples et de contribuer à une communauté d’avenir partagé pour l’humanité.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je vous remercie de votre attention. Maintenant je suis prêt à répondre à vos questions.