Récemment, le chroniqueur de Bloomberg David Fickling a publié un long article intitulé « How the US lost the solar power race to China », lequel a attiré beaucoup d’attention. Cet article perspicace et inspirant fait penser au récent conflit commercial sino-européen sur les voitures électriques. La même logique revient.
« Une tragédie due aux erreurs »
Grâce à des visites sur place et à des recherches rétrospectives sur le fabricant américain Hemlock Semiconductor, M. Fickling a découvert que cet ancien géant mondial du polysilicium avait trois problèmes fatals : une stratégie commerciale à courte vue, des coûts énergétiques élevés et un oligopole contre-productif.
Quelle similitude avec l’industrie des véhicules électriques en Europe ! À cet égard, l’éditorialiste au « Monde » Stéphane Lauer a fait une analyse pertinente. D’abord, les constructeurs automobiles européens s’étaient contenté de leur avantage technologique et leur monopole sur le marché des voitures thermiques. Ils ont attendu le scandale du « dieselgate » en 2015 pour enfin se lancer dans la transition vers les véhicules électriques, mais trop tard. Deuxièmement, depuis la Covid-19, entre l’inflation salariale et l’augmentation des coûts énergétiques, les voitures européennes ont encore perdu 20 % à 25 % de compétitivité. Enfin, alors que les Chinois se concentraient sur des modèles aux prix abordables pour le plus grand nombre, les constructeurs du Vieux Continent ont ciblé le haut de gamme. Sur ce segment, les marges de bénéfice sont élevées, mais les volumes de ventes sont faibles. Résultat : les marques européennes n’ont pas pu bénéficier d’économie d’échelle, un facteur vital dans cette industrie. Les marques chinoises sont maintenant capables de développer un véhicule en dix-huit mois là où les Européens mettent le double du temps.
« Seuls les plus forts survivront. »
Revenons à l’article de M. Fickling. En 2011, lorsque les États-Unis étaient confrontés à la concurrence chinoise, ils ont imposé des droits de douane de 250 % sur les produits photovoltaïques chinois. Au lieu d’investir davantage dans l’innovation, de réduire les coûts et d’accroître l’efficacité, ils ont tenté de bloquer les produits chinois, rêvant de faire tomber les entreprises chinoises en abusant de leur monopole. La Chine a en retour pris les mesures antidumping, obligeant les entreprises américaines à se retirer de l’immense et lucratif marché qu’elles occupaient initialement en Chine. Tandis que les entreprises chinoises, en profitant de l’occasion pour gagner des parts de marché, ne cessent de monter en gamme, pour finalement dépasser les marques américaines, européennes et japonaises, et cela a même conduit au déclin de l’industrie photovoltaïque américaine.
13 ans plus tard, l’UE a fait les mêmes erreurs que les États-Unis. Elle a imposé des taxes anti-subventions sur les véhicules électriques chinois. Néanmoins, selon l’éditorial du « Monde », les avantages des constructeurs automobiles chinois en termes de prix et de technologie n’ont pas disparu, et l’industrie européenne des véhicules électriques, dont « le mal est beaucoup plus profond », ne devrait pas attendre de miracle du protectionnisme. Emmanuel Combe, professeur à l’Université de Paris 1, souligne également que les droits de douane ne doivent constituer qu’un « abri provisoire », car s’ils donneront un répit aux constructeurs européens, ils inciteraient aussi les entreprises chinoises à investir en Europe, ce qui leur permettra de s’adapter plus vite au marché local et de renforcer la compétitivité. L’Europe risquera ainsi de se faire sortir du jeu.
« Quel est le secret de la Chine ? »
Selon M. Fickling, les États-Unis pratiquent le deux poids, deux mesures. Pour eux, le soutien par la Chine du développement de l’industrie photovoltaïque, c’est de la « politique industrielle étatiste », alors qu’aux États-Unis, c’est « créer un climat d’affaires favorable ». Comme dit un adage chinois, le préfet se permet de mettre le feu tout en interdisant les autres d’allumer un lumignon. Toujours selon M. Fickling, l’avantage de la Chine vient en fait de la confiance des entreprises chinoises en l’industrie photovoltaïque, de leurs stratégies d’investissement et d'introduction de talents, et du soutien ferme et constant du gouvernement chinois au développement d'énergies renouvelables. Ce soutien est lié à l’important déficit d’approvisionnement en énergie de la Chine. Il est impératif pour réaliser le développement vert et bas-carbone, et est basé sur le solide secteur manufacturier chinois.
Même logique pour les véhicules électriques. La Chine a commencé à développer cette industrie dans les années 1990 et poursuit des politiques favorables depuis 30 ans, tandis que la politique de subvention d’achat a été complètement abrogée. Grâce à la concurrence, les entreprises chinoises se sont renforcées et l’industrie entre désormais dans une nouvelle phase axée sur l’innovation. Ceci est bien sûr impossible sans le système industriel complet de la Chine, de son écosystème industriel d’excellence et de son énorme marché. Le « rayon industriel de 4 heures » dans la région du delta du fleuve Yangtsé en est un exemple : un véhicule à énergie nouvelle, du matériel au logiciel, de la conception à la production, peut être achevé dans un rayon d'une distance de 4 heures de voiture où la livraison est gratuite.
« Taxer les véhicules électriques chinois, et après ? »
Le parcours de l’industrie photovoltaïque en Chine et aux États-Unis a montré que dans la transition verte chaque pas compte, et qu’un faux pas en entraîne un autre. Pratiquer le protectionnisme, c’est comme s’enfermer dans une chambre noire : on est à l’abri des vents et des pluies, mais on se prive aussi du soleil et de l’air. L’UE pourra-t-elle se renforcer en excluant les véhicules électriques chinois ? Absolument non ! Les constructeurs européens seront encore moins incités à innover. Ils continueront à gagner confortablement leurs bénéfices excédentaires sur les voitures thermiques.
L’UE regrette toujours de ne pas avoir taxé les entreprises photovoltaïques chinoises, affirmant que cela a conduit au déclin de sa propre industrie photovoltaïque. Elle n’a pas tiré les vrais leçons du passé. Le déclin de l’UE n’est pas dû au fait qu’elle n’a pas frappé assez fort les entreprises chinoises, mais au fait qu’elle n’a pas saisi l’occasion de rattraper son retard - les entreprises chinoises ont fait des engagements sur les prix et les quotas. Nous espérons que la partie européenne tirera les leçons du passé, respectera les lois du marché, aura le courage de ne plus se replier derrière la ligne Maginot du protectionnisme, et saisira les opportunités de la transition verte aux côtés de la Chine. Nous avons tout à perdre dans la lutte et tout à gagner dans la coopération !
Pour terminer, nous vous invitons à la lecture de l’article de M. Fickling dont le lien est suivant : https://www.bloomberg.com/graphics/2024-opinion-how-us-lost-solar-power-race-to-china/